ÉCRIT SANS GANTS !
Présentation de mes Oeuvres Théâtrales (1967-97).

 

Si mon HORTOgraphe et mon syntAXE irrespectueux

(je fus ce serPan dans la demeure du livre, la Tarentule pour vous faire danser, sans tutu ou "body" ! ) ne vous ouvrent pas le JARDIN des Sens, continuez donc de pivoter. Faites vos dictées ! Concoctez-vous votre bouillon d'onze heures :
Votre culture ministériée ! O Pharisiens ! Pharisiens ! Parisiens continuez à épuiser l'humus, à épuiser la terre ! je demeurerais jusqu'à la fin de cette dure existence habile en l'artisanat furieux, fidèles aux "fautes d'inattention", soli-lunaire.
Alors, marchez donc aux pas, aux pas de l'oie :

co ! ca ! co ! la ! co ! ca ! co ! la !
(des milliards de fois salivé)
0 ! 1 ! 0 ! 1 ! 0 ! 1 ! O !!!
(N'oubliez pas ! Le binaire est militaire )

 

Marchez à faux argotiques ! La nave va. Rapping the rape, tu t'en souviens de tes yeux nyctalopes ? Vulgarités admirées par peur de ne pas être de son temps, vulgaire. O nightmare ! Mais toi, Ami horticole, viens avec moi dans le Jardin, tu seras mon Époux pour rétablir la nature des choses qui font signe(s) d'envol. Dans l'apparente inversion de sexe Comme l'inconcordance des temps Le désaccord des participes passés, les répétitions Et l'allitération primitive frisant le calembour ... Qu'aurions-nous à faire de l'ortho, hypocrite rectitude ? Lorsque tant de brisures ... oui, tant de brisures...

Souhaitons, alors ensemble,
my beloved stranger,
de renaitre en (la) Parole,
A Flower, just a little flower. Even
a little flower betwixt the concrete .
Mais pour cela aucun chemin n'est tracé -
Le comprenez-vous ?
Plusieurs millénaires de monoathéisme
ça use, ça use les souliers !
Merry and Gay,
Passerons nous à gué ?
ASSEZ !
Je ne prendrais pas 
je ne prendrais
plus de Gants ! 

 

Certains diront que j'en ai jamais pris. Que je suis même quelque part un extrémiste, un provocateur, ce qui est d'autant plus  injustifiable que je suis un inconnu. En fait je suis plutôt invisible, invisible au "Grand Nombre", mes contemporains baignant dans le joyeux anonymat des marchés. Je ne prendrais pas de gants, car je n'ai pas comme (tant d'entre) vous les mains sales, ni l' Enfance d'un chef !
Cependant pour commencer, plus gravement que de cracher sur vos tombes, zombies victimes d'asepsie, j'ose défendre l’intelligence au sens étymologique du mot, manière d'être avec un cosmos alors, qu'On nous propose de partout, le grand hasard d'un univers mort ! qu' On nous parle d'expression, qu'On croit, dans la débâcle du Sens, à la "communication" ! Alors qu' On nous exprimerait, tel le jus d'un citron ! Exprimez-vous ! Exprimez-vous et qu'on n'en parle plus !

Mais moi, moi dans cette chambre octogonale, avec cette vue imprenable sur la rue banlieusardée, avec le bruit infernal de vos voitures étouffantes, vos camions déchargeant à toute heure du jour et de la nuit les friandises de vos cœurs lourds, dans l'odeur perpétuelle du gasoil et des fumées d'usine, moi, je croirai encore en une possible InTelligence avec. Avec ? Des rêves d' Arbres (ils sont cimentés ou morts) d'Ours (documentaires ou en peluche), de Fleurs (de plastique) et de durs cristaux, le pyrite et la bauxite (résistant au réel qui cherche à les éroder - monstrueux cristaux liquides ! ) qui me consolent sur cette table là, sur ces étagères et, moi, minéralogique. Je n'ai donc plus le loisir d'herboriser comme Rousseau sur les coteaux de Gentilly, près des fortifications. A peine dans les forêts alentours où braillent les VTT, où roulent irrespectueux de vos végétations les papiers gras, ces professionnels randonneurs !

Minéralogique, je demeurerai incompréhensible aux techniciens, spécialistes de tout poil - y compris de ceux qui se vantent d'une intuition sans entendement, les fanatiques de la spontanéité algébrique, animalière.

Pour simplifier, On dira donc que j'écris. J'écris. Je ne me propage pas. J'écris, c'est tout.! J'écris. Etrange occupation ... Parfaitement incorrecte d'autant plus que j'accomplis cet acte inutile en aristocrate, sans généalogie, ni fame. J'écris, je ris...

Je ris : j'y ris. j'en ris pour devenir Alain, sans revenir à l'Un à moins que ce soit le Tout mais surtout un Tout différencié, pas l'1-des-sens totalitaire ! Je crie aussi et ce n'est pas dans l'Indicidence qu'on retrouvera mon prime (é)CRI mais dans un texte écrit à la fin de l'adolescence, sans titre que vous retrouverez dans mon Parthénide (si je n'ai eu le temps de l'insérer dans cette oeuvre que ne complétera que, Vous, ma Mort et que je nomme par commodité - sur ces maudites (car obligées par vos inconnaissances - votre avidya - mercantiles) disquettes -"RêveVolté". Ce texte d'adolescence commence ainsi :

"VOUS ...
Foutu théâtre d'une recherche fonctionnelle de la vérité. MERDE A TOI ! (...)"

Du "vous" au "tu" il y a cette magnifique incorrection, l'insulte jaillissant comme une Fleur délinquante. Toute fleur l'est désormais qui ne veut être métaphysique, en serre (soit clonée).

 

Car je ris pour ne pas être un hédoniste. Je m'en ris, m'enveloppant de dysorthographies, me moquant de vos modes abréviatives et tout autant de vos faux argots ! Je ne tague pas l'agrafe de vos défaites, de vos gauches ou droites hypothéquées. Je suis né dans l'indifférence culturelle d'une famille tellement française que j'en suis l'émigré. Mon père ferait exception, mais il eut peur de me désirer.  L'inceste au père, serait une figure centrale. Mais Comprendrez-vous alors que j'écris ?
J'écris depuis toujours. Depuis ce jour où vous fûtes indifférents, chers parents, que vous eûtes peur de mon désir. J'écris parce qu'il y a entre nous ce désir que je sois cet Etranger.

Ainsi encore enfant je me déguisais en japonaise (comprendrez-vous alors que je suis lesbienne et non pas graine de travestiture ? ) avec une prédilection étonnante pour une écrivain du XI ième siècle, Murasaki Shikibu ! Non point prédestiné à être moi-même une femme, non, mais femme parce que seule, une femme peut ECRIRE sans en faire toute une politique de dieu !

Dans une chambre de bonne - la mère étant devenue concierge - je cuisais à genoux sukiyaki et empuras pour des camarades de classes effrayés (Jean-Philippe surpris, Robert D, amoureux sans doute) des parents affolés (pauvre Blanche ! pauvre Renée ! pauvres vieilles filles de toutes les guerres d'un siècle décimé !).

Quel bonheur d'immoler ainsi la France sur les tatamis improvisés, derrière le paravent de laque noir, agitant le sagaki envoyé par une correspondante japonaise d'Osaka; Kikuko (qu'es-tu devenue, Kikuko ?). Est-ce donc ce qui m'inspira, plus de 30 années après ! la composition de mes 9 "No" ? Noh occidentaux ? No accidentés ?

Ou est-ce comme l'histoire le voudrait un fait-divers qui déclencha un soir d'automne, en l'absence de tout érable rougeoyant, en l'absence de tout chant du Koto - que, sans pinceau, sur du papier blanc, ordinaire, avec une machine à écrire ordinaire, s'entamerait le cycle des 9 par ce premier No titré "Le Piano Moire" ? Ecrit en pensant à la mort de quelqu'un que j'ai à peine croisé, que je n'ai pas connu. Un fait-divers, une mort vraiment moderne. Une mort progressiste, positiviste parmi d'autres identiques, anonymes comme vous les souhaitez. Morts hospitalières ! Morts d'hôtel-Dieu !

François Moreux (tel est désormais ce nom tombale, grave) est en effet mort des suites du Sida. Mort pour industrialiser la mort (car désormais on ne parlera plus de croque-morts mais de thanatologues) maintenant que Hiroshima, Dachau sont objets d'anniversaires et de commémorations, ou révisés dans des thèses absurdes, sont du passé pur, ne peuvent plus être compris comme les promoteurs d'une erreur définitive, moderne, ... la mort industrialisé... qu'importera le Vent ?

Parmi tous ces entassements de cadavres, François Moreux ou un autre, qu'importe ! N'est-ce pas ? N'est-ce pas, vous aux enfances de chef, les mains sales et l'argent blanchi. Vous ?

Alors un prétexte pour écrire serait aussi de (le) sortir de l'anonymat de la "mort en masse". De (le) sortir de la masse industrielle de récits sans Mémoire ! 
Sortir qui ? quoi ? Moi ? Toi ? Tout autant Toi et Moi comme une victoire impossible du Soi sur la Mort triomphante.

Mais si le déclenchement de ce qui mûrissait fut le fait-divers, ce monde fait-diverseur, outré, ce fut aussi un pari tenu autrement que prévenu. J'avais dis à Stéphane M. que, n'aimant plus le cinéma, je ferais ma preuve en écrivant en 24 heures l'un de ces scénarios tant prisés aujourd'hui et qui font que le cinéma m'est devenu presque détestable - comme l'est de nature ce reality show qu'on appelle le Quotidien ! - comment s'en débarrasser serait la question exquise d'un cadavre encombrant ... ?

Parvenir à faire Voir ce qui est à Entendre (ou Attendre) voilà pourtant l'Extraordinaire où le cinéma muet (Méliès d'abord, Fritz Lang avec Metropolis ? Pabst avec Lulu ? ) s'aventura, puis / que le cinéma italien a connu (parce qu'il maniait simplement la caméra comme un pinceau ?) et connaît peut-être encore, / qu'un cinéma allemand méconnu a perdu en allant chercher des modèles hors de sa Bildung, à Paris, au Texas.../ que le cinéma anglais n'a connu qu'avec Derek Jarmann, l'ami qui ne m'a pas connu.

Cinémas d’Europe (surtout pas de majuscule s'il vous plaît ! l'Europe c'était il y a longtemps, très longtemps aujourd'hui c'est Uro-pee, une éventure du dollar ! ) reste d'une Culture, souvenir, bribes que le cinéma américain n'aura su que pirater, vendre. Avantage considérable de ce dernier : il n'a fait que prouver sans cesse (expérimentalement donc) qu'il y va uniquement d'une technique (et principalement d'une technique du leurre : de l'entertainment) et non point d'un Art. C'est rassurant pour l'Art, s'il peut encore y en avoir du Grand qui ne soit pas ni un secteur économique, ni encore cette immonde farce bourgeoise, l'art pour l’art !

Et puis, après tout, le cinéma est français. Le centenaire de cette invention de bricoleur (au sens donner par Lévi Strauss dans sa Pensée Sauvage ?) peut nous épargner un travail tant fastidieux qu'inutile : l'ethnologie des Lumières (ou faudrait-il mieux dire l'éthologie des lumières : car là où pisse un chien, ça y revient !) Une époque restée française, exemplaire. Monsieur Comte, Madame Lafrance qui ne sait que raconter que ce que n'importe qui peut vous raconter, des existences banales à pleurer (pour ça je préfère Damia ou Piaf ! Et aujourd'hui ma Juliette ! ). La décapitation, c'est ça du cinéma !

Les américains en font à loisir les remakes et le make-up, de votre France ! Un béret, une baguette la voilà la Marianne - belle de jour, et pute toujours. La France ? Elle ne m'a jamais inspiré qu'un désir de la trahir ? La meilleure façon était d'écrire dans cette langue morte de dictées, de concours en n'en respectant pas les règles, en la travaillant en Etranger. D'ailleurs je n'insisterai jamais assez, je me considère émigré dans ce pays que je n'ai pas choisi. C'est tout juste si après coup, je pourrai m'y faire ... des souvenirs.

Qui sais, si agonisant je ne me ferais pas une famille heureuse, un coin de l'âtre, pourtant ? Qui sais, si je ne me referai pas une enfance et si tu ne m'apparaîtras pas, Belle Mort, Mort d'un Poète avec un paysage d'enfrance (puisque l'Amérique ne m'a pas séduit, que l'Europe me laisse de glace, pasteurisant ! ) En tous les cas, sans parler d'influences, inventions des psychologues et autres moralistes pour justifier l’Etiquette, mes confluences sont toujours étrangères ; Allemandes donc musicales ? Grecques (Poème et Noèse) ou pour les dieux ? ou pour des souvenirs athlétiques ? Japonaises, pour déraisons mystérieuses ? Jouer à la Poupée ? ou pour jouer avec l'idée de réincarnation ? Enfin Sanscrites pour les Têtes Noires et les Porteurs de crânes ! - surtout pas pour le bouddhisme démissionnaire, précurseur de l'abomination, de cette chose pantelant, sanguinolente sur la croix du déjouir ! Amis S.M. permettez-moi d'en rire comme Kundry pour faire vibrer la Kundala !

Ce qui déclencha donc l'écriture de ces Noh automnaux ne sera donc pas seulement le fait-divers, mais encore une lecture de Mishima, hors des sentiers battus, de ses 5 Noh modernes. Une lecture qui après coup satisfaisait un des projets inassouvis de mon adolescence ignorée : transcrire certains chapitres du Genji Monogatari pour le théâtre moderne ?

Le théâtre occidental, le théâtre effroyable, blanc comme un linceul - poussières, ors, et velours rouges, bâtiments pompeux et administratifs, grands habillements, robes longues et smokings, corps gantés, corsetés, laideur suprême, puis retombées en jeans et négligés ... Où sont les Nus ?

Le théâtre ? Une vieille histoire ! J'y suis né dans les coulisses de la Comédie Française en voyant l'Antigone de Sophocle en 1959 ! Moment où tout le théâtre français classique s'effondra pour moi à jamais (je n'avais bien sûr pas encore lu les divines ennemies du Molière, les Précieuses qui me réconcilièrent avec un surréalisme déjà désuet lorsque je le découvre) tout en aimant déjà Lully (avant qu'un scoliaste américain n'en fasse une mode bien trop tempérée et qu'on parle de baroque dans les cafés choc sans chic). Avec Sophocle tout le théâtre français était désormais réduit à du labiche marigalvaudage, du woodywood allen-pecker - autant dire du vent ! Fantasia et Disney, déjà ? Toujours ! Pourquoi s'étonner qu'il soit installé à Marne la vallée, ce rêve préfabriqué ?!

Le théâtre commençait donc pour moi sur la scène du Français, en Grèce. Mais bien qu'on me vit sur les genoux de Catherine Samy et de Maurice Escande lorsqu'ils venaient essayer leur perruque chez Monsieur Chaplin dont mon père était le comptable, les comédiens n'eurent jamais ma sympathie - mon désir ?  Les comédiens ... ils méritent le bouquet qu'un bourgeois ventripotent offre à la cocotte, sa maîtresse, son amant, la fosse commune du vrai vice. Ce vice qui caractérise la bonne société qui réfuta la Hièrodule pour faire commerce internationale et oecuménisme !

Je déteste encore plus, il est vrai, les professionnels (les businessmen, les hommes en anthracite trois pièces et tous ceux qui portent des uniformes non-érotisés, les pornographes ! ) ceux qui composent des rôles tandis que sortis de scène ils affirment ce qu'ils sont profondément : des beaufs et des midinettes.

Adorer des "stars" prouve uniquement qu'on a perdu le chemin des Etoiles. qu'on l'a perdu par peur de l'idolâtrie pour inventer un MinisTAIRE à la culture !

De la culture ? Beurk ! Alors vous comprendrez mieux pourquoi j'aime plutôt Brigitte Fontaine par exemple que X ou Y. Je l'aime de Morlaix à Brocéliande parce qu'elle ne s'est jamais perdue dans du "professe", qu'elle maintient le cap : être chaque jour et de plus en plus Brigitte sans dire Fontaine je ne boirais pas de ton eau (cette eau fut-elle amniotique !). Le prénom est essentiel ... pour être soi-même, sortir de la famille et de la patrie ! ça n'empêche pas que la Brigitte actuelle, je ne la supporte plus! 
Prendre le chemin le plus authentique, celui de n'imiter personne ne peut jamais me décevoir. Vous me décevrez toujours en voulant être comme tout le monde (fut-ce en vous croyant au-dessus des autres juste par cynisme - effroyables collabos !). Communiquer comme tout le monde, pour monsieur tout le monde, ça me dégoutte ! Je crois hélas que pour beaucoup c'est ça la démocratie. Alors vous la continuerez sans moi ! D'ailleurs je n'ai pas attendu pour la laisser choir ! Ecrire n'est-ce pas déjà ne rien faire ? Et en démocrasseux ça travaille, bosse et rebosse ! Ne pas travailler , alors que le Travail fut la suprême valeur d'une génération syndiquée, périmée depuis, et tandis qu'aujourd'hui, sans valeur, on a relui l'image du patron, de l'exploiteur, refuser de travailler n'est-ce pas encore le suprême scandale ?

J'écris de fait pour perpétuer cette GREVE que j'entamais très jeune lorsque j'appris par vos tests d'inintelligence que j'étais pas bon à grand chose,
ni pour l'usinage,
ni pour le bureautage,
que les deux mamelles du monde moderne ne pourraient pas me donner leur lait.

J'avais prouvé cette incapacité en obtenant un 19 en philosophie au Bac, un Bac qui n'avait pas encore été distribué gratuitement. C'est sans doute pourquoi, contrairement à mes congénères, je me suis tant insurgé contre les "ismes" puants et les entichés de l’anti". S'en prendre aux flics et vouloir la destruction de l'Université pour activer la production c'était vraiment trop con ! Mai 68 ce ne fut que la moins coûteuse des analyses de marchés. La jeunesse (invention hitlérienne ?) était prête à entrer dans le royaume féerique de Consorama ! A MARCHER AU "PAS". Tristesse frénétique !

Aujourd'hui, il serait peut-être urgent de rétablir le (sens du) sacrifice humain pour exorciser votre violence et peut-être ainsi réveiller quelques Dieux endormis, la Parole. Qu'en pensez-vous ?

Moi j'ai toujours ma grève à continuer, qui est un Rite, pour affiner la justesse de ne savoir rien faire d'autre que, du StEXtE - Magick ?

Ecrire sans être épris d’Ecritures ceintes. Et sans prendre de gants, provoquer, incantation, crier vers le Sacré. Suis-je une Rose d'enfer ? Ou prompt à aimer Lucifer ?

Ainsi à la fin des années soixante, je risquais un théâtre "rituel", assez proche d'Artaud disait-on (d'autre auront pensé à Kenneth Anger qui ne m'inspira que de joyeuses futilités ? ) On a dit un tas de choses sur moi qui ne concernait que les autres. Sachez au moins que je ne lirai vraiment Artaud que dans les années 80. Sachez le. Souvenez-vous en. ! Avant je n'avais lu et relu que le Théâtre et son double qui ne me satisfaisait pas car il ne donnait pas au théâtre un système de notation comme en possède la musique et n'esquissait qu'à peine un rapprochement avec la pratique des mandalas.
Mon théâtre à cette époque ne fut jamais écrit. Il y avait un support, une "vision" qui était en suite travaillée en groupe, découpée en séquences "actantielles" pour définir un champ d'improvisations rigoureux, sans jamais déchoir cependant dans le psychodrame - l'exécrable monde des thérapies !

On trouvera les séances de travail, réduction à des formules actantielles dans mes Papiers de jeunesse. Comme telles ce sont des transcriptions quasi sténographiques, des notes pour des explications théoriques se présentant comme des conférences ce que je faisais toujours avant chaque séance etc. Ce que j'admire aujourd'hui dans ces textes c'est qu'ils vont droit au but, sans souci de style. Ce qui compte uniquement ce n'est pas même le primat du sens sur la forme mais que le sens recherché, inconnu soit forcé comme on force un dieu qui est absent et ne répond plus aux prières ! Voici donc des scénarios exemplaires de ces années-là 

Exemple 1
(1969) : VAMPYRE (qui se présente comme un projet de film). 

Une voiture entre dans un parc. Château du 19 ième siècle, déjà en ruines. Voiture décapotable. Une femme nue y est installée, froide. Air tyrannique. Sur la plage des femmes étrangement mouvantes, s'avancent vers la mer. La voiture s'est garée près de la porte d'entrée principale. Porte en fer forgé, très lourde. Il pleut. Bruits d'orgue.
(N.B. 1997 : je n'ai jamais considéré l'orgue comme musicale, mais comme l' instrument de l'horreur, de la stupeur: c'est donc bien du Bruit, beaucoup de bruit, comme la mitraille ...).
(On réalise que ) La voiture était conduite par personne. La femme descend de voiture. En ouvrant la portière des (couvertures de) fourrure (brute) tombent. Un cri dans une pièce blanche du Château. Pas de meuble. Rien. Une cornue. Distillation - UNE goutte est perçue.

Une autre voiture entre dans le parc. Sur les marches qui mènent au Seuil, deux femmes attendent - en plein jour avec des bougeoirs aux bougies allumées, suintantes. Une femme descend de cette voiture - elle aussi sans chauffeur. Elle est nue sous un manteau de vison. Elle exhibe son sexe.
Elles rentrent (toutes les 3) dans une pièce vide. La même. Bruits d'orgue.
La plage est déserte. Il pleut / Un vieil homme sort de la mer. SES YEUX. SES DENTS. La femme, toujours nue, sort d'un rocher. Etrange coiffure. La voiture arrive sur la plage. Un jeune homme regarde à travers ses jumelles d'une tour HLM. Un jeune homme s'étend sur un lit. Se relève va au W-C. découvre une femme morte. Le vieil homme a été assassiné. (titre d'un) Journal. Un lit, des couvertures de fourrure. La femme fait l'amour avec une fillette ... Sur la plage on danse autour d'un feu. Arrêt brutal.
Une même voiture entre dans ce même parc. La voiture est dans cette pièce blanche qui n'a plus que trois murs, le quatrième donne sur la plage désertée.
Un couple qui vient de faire l'amour dans une rue très passante de la ville sème la terreur. (alors que) la police ne peut rien contre eux. Grand Rire à la vue des dits événement de Mai). Un "bon" prof radote. Le couple (sperme et sang mêlé) entre pendant son cours.
NB. Pendant toutes ces scènes des "textes", paroles sont distribuées sans qu'elles aient rapport avec quoi que ce soit, et surtout dysynchrones comme si tout s'évertuait à l'impossible communication. INCOMMUNICABILITE.

Exemple 2 (sans titre, 1969-70) 


Orchestre. accords. Flash. Vues fixes sur écran. Un symbole comme tiré au hasard de l’Egypte ancienne ... La Barque Solaire traversant l'espace de jeu total (acteurs + spectateurs). La barque passerait devant un homme en méditation. Impassibilité. Peut-être alors que des éclairs, des flashes, sillonneraient le "ciel". Un écho "As-tu la CLEF ?" ou tout autre chose. Film. Phallique. Thème LE PHALLUS. Le premier symbole aurait disparut cédant la place à ce dernier. LE PHALLUS. Projection de paires d'yeux. Et les reptations commenceraient pour une Foule Larvaire. Au milieu de cette indistinction triomphante, une Femme apparaît comme sur un écran, une vision masturbatoire. Des échafaudages rouges, très rouges et dans le fond, tout juste visible dans un paradis épileptique, une femme nue souffre, se tort, souffre... Derrière c'est Paris, l'échafaudage n'est plus qu'un sexe Tandis qu'un vent apporte des feuilles, les débris de l'amour que les Rampants réprouvent. La femme a quitté tant l'écran que la scène. Séquence silencieuse. Froideur glacée. Vrombissement supersonique d'écolages. Quelque chose comme un Trait d'angoisse sur le visage du méditant. Un regard sur du job gommé. Violence à l'orchestre. Il roule un "stick". Film suscitant des reptations accrues mais qui se transforment en cérémonial. La Mer mugissante / terribles ombres des vagues. Des ruines de cathédrale
(NB, 1997 : que peut-on souhaiter, malgré leur beauté, de mieux pour des symboles trop christianisés que d'être des ruines hivernales !).
Un Visage. Un couloir. Des femmes plaquées contre les murs. Dans une serre, ils feraient l'amour toutes les pratiques possibles, tout en cavité, tout en profondeur, perspective curviligne. Sur un cube - sans obligation pour nous que ce soit ce cube - déchirante, outrée une femme qui ... penserait ... On entend ou n'entend pas une mélopée sauvage - tablas. Le film éteint brusquement bien sûr puisque vibrent soudain partout des couleurs : projections fixes, tissus orientaux, soieries... La femme sur le cube (danse de Salomé ?) se lève portant un polyèdre dans la main droite. Lumière noire. Des pas de théâtre Nô - vers la salle. Toujours les Rampants qui obstruent le champ perceptif. Ils essaient d'atteindre la femme. Mais (pour eux) ELLE EST TROP LOIN.
Ils veulent dévorer le Méditant. Ils y parviennent. Délectation très visible - comme l'animal se repaît ou comme une vieille fille mange un saint-honoré dans un salon de thé ... En superposition, des abattoirs d'où est vomit le Méditant. Il est à nouveau sur scène, au même endroit. Une fille, comme July D.(Driscol) qui arrête la frénésie vaine des Rampants. Scène de bar digne de l'Ange Bleu de Pabst. Les Rampants, de simples clients pourtant pas inoffensifs. July d'une extraordinaire plastique. Assez démoniaque, des ongles de cuivres comme dans le kataKALI. Une paranoïa très critique. Il est a ses pieds, masochiste. SOUDAIN ou lentement sur fond d'une couleur atmosphérique spermatique ... elle est crucifiée / saisit un masque crucifié de lumière. La Masse est heureuse, lève les bras ou tout autre geste de vile contentement. Apparaît un groupe de pucelles fraîches comme des (fleurs coupées) .. en chemise de nuit pour souligner une certaine sénilité des foules. July les griffe, féline. Elles se saisissent d'un crucifix archéologique sur une musique religieuse qui tourne mal.
Des projections de curés (quoi de plus ridicule ! ) superposés avec des chevauchées éperdues de Walkyries oubliées. Des militaires passent au rythme de va te faire foutre, dans l’église redevenant Grotte. PUIS UN BISTROT BANAL, éclairé en rouge bordel. July aurait reculé se serait effondrée, en arrière, sa tête seule éclairée. Les pucelles sont saisies de rires spasmodiques et chantent "il est né le divin enfant". Je suis Nemrod. L'idéal du moi révélé du Méditant. Il apparaît, pale et grimé rapidement sur scène pour ressembler à une pute. La Tour de Babel. BABYLONE M.G.M ! Le Méditant est dépité (Ajout : he's just a fucking Queen !) . Tout le monde parle toute sorte de langues. Tous entament une danse frénétique. Le Méditant s'y mêle. Sur le cube, July écorchée vive. Musique de Gagaku. Un cri : Toi ! Toi ! Toi ! Il devient fou. Se saisit du vêtement le plus démoniaque. Et ce serait au tour d'autre (méditant), toujours se croyant impassible. ROUGE DOMINANT. On reprojette l'échafaudage, la mer, tout un bouillonnement d'industrie - vain. La marche funèbre sortie du rococo le plus hurlant. Et encore le cri :
TOI ! TOI ! TOI !
(Rideau).

Exemple 3 (1970-71) : Peut-être plus importante encore que les deux précédents, une expérience de théâtre de rue : un rite de libération de la "consommation" 

Procession, tous habillés de caftans multicolores, porteurs d'encens et de coupes de fruits, de Bâton et d'une Epée chantant, dansant.
Nous entrons au Monoprix, République ! Et avec l’Epée nous perçons un camembert que nous emportons. Personne ne dit rien. Ahurissement des vendeurs et vendeuses comme des clients qui n'ont jamais rien vu de tel
(NB, 1997 : Aujourd'hui nous serions arrêtés ou plutôt "jeunes" nous jouerions à la bourse du travail) Devant ce Monoprix, Dominique B. est restée (comme pour) mendier. Nous nous saisissons de son gain. En hurlant " c'est scandaleux, c'est hippies !". Les bourgeois ne comprennent rien, la manière dont nous sommes vêtus, notre vieille jeunesse insupportable etc. Ils comprennent d'autant moins lorsque Dominique se met à rire de ceux qui la prenait en pitié ! et qu'elle chante "Chrétiens ! j'ai acheter des lions au Bon Marché, pour vous faire manger... Un bon patron c'est un patron mort. Vive la Police montée !" etc. etc.

Nous recommencerons une expérience plus ou moins identique au FHAR mais déjà nos contemporains étaient devenus plus que jamais des consommateurs. Ils seraient bientôt des gays américanises. Je partirais moi-même en Amérique croyant trouver ce qu'on n'y cherchait pas, un Corps d'Amour pour homme... L'eldorado ne serait jamais que dans la Cornue, une Aventure intérieure (imaginaire ?), mais il y eut, the Bear.

 

Tout cela m'éloignait bien sûr de la tendance dominante de l'époque toute tournée et retournée par le freudo-marxisme, cette suprême bêtise qui réduisait l'homme à un animal de "plaisir" et de productivité ! Tout confirmait donc mon inactualité, certes mais comme une sorte de choix, cette fidélité à soi même que contraint un Destin.
Dans ce sens je ne pouvais être que récidiviste. Et gardant une distance intempestive avec ma génération, je décidais de construire un visuel - était-ce un film ? - dont le titre devait être le Feldweg et qui devait s'appuyer sur la musique du final de la Femme sans ombre de Richard Strauss pour illustrer le Feldweg heideggerien.
Le scénario écrit en "formulaire" aurait du être "tourné" en grande partie dans le décor naturel de la Roche Guyon, où nous avions effectué de nombreux repérages, répétitions et préparations "rituelles" (On pourra se reporter aux documents compris dans mes "Papiers de jeunesse"). J'aime encore me rendre sur ces lieux en pèlerinage comme souvent je me rends aussi à Senlis, Ermenonville sur les traces de Nerval ... 

Autre récidive, en écrivant un formulaire pour une (re)transcription du théâtre de Marguerite Duras en Noh : Marguerite Duras ou le Blanc seing, dont la deuxième version parut dans l'Indicidence 3, illustre sans doute au mieux ma conception de l'écriture théâtrale, avec laquelle je romprais (peut être plus par contrainte matérielle, la difficulté de constituer aujourd'hui un groupe de théâtre expérimental, qui sans être bénévole n'était pas rémunéré !) : un théâtre qui ne s'écrit pas, mais s'improvise à partir d'une axiologie sémiologique, une structure prédéterminée comme un Mandala.
Mais entre 1987 et 1989 je composais Les Dioscures une pièce en trois actes, au texte entièrement rédigé.

D'abord écrits sous la forme d'un roman de Montagne (après la rédaction d'un Uta Nikki, journal poétique, ou mémoires poétiques intitulés Parthénide ou l'Héroïque Invisible) ces Dioscures visent une réinstitution du corps vécu comme temple, réceptacle de la Parole de Phusis, lieu de révélation du Mythos.

Est-ce étonnant alors si plusieurs personnes qui m'ont entendu lire ces Dioscures aient pu me dire qu' "avec cette pièce je pouvais aider plus de "gays" que ne le pourront jamais des psychologues et autres spécialistes" ?

Tout rappel d'une Parole  - sens originel du mot "Mythos" - n'est-il pas en effet, déjà une Heilung ?

Certes, mais faut-il encore y être disposé, s'y disposer singulièrement. Beaucoup entendrons encore des histoires d'homosexualité, affaire d'un appropriement médical de ce qui n'est même pas une perversion !

En trois actes, "Les Dioscures" proposent par l'entremise du héros un chemin vers le Leib - le Corps-Pensant. Bien que le ton et le style aient leur importance, les 3 actes se déroulent d'abord sur le plan structurel comme le voyage "initiatique" du Héros, Élis, à travers les représentations onto-théologiques communes du monde occidental. Ce Voyage correspond au niveau de la fiction à une Epokhè. Comme dans ma Gay Mystique le corps reprend possession de son rapport intime avec ce qu'on appelle trop couramment la Nature (pour faire rêver les Rousseauistes, pleurer les écologistes et devenir "greedy" les "nouveaux" technocrates en manque de ressources naturelles).

Le Héros quitte la Grande Ville (ce véritable désert) telle que pressentie par l'expressionnisme Allemand et telle que la mesure ce poème de Trakl :

O la folie de la grande ville où, le soir / Des arbres malingres se roidissent près du mur noir / Et l'Esprit du Mal parait sous son masque d'argent / La lumière, de son fouet magnétique, chasse la nuit pierreuse / O sonnerie estompé des cloches vespérales / Une putain, prise de frissons glacés, accouche d'un enfant mort / Furieusement, la colère de Dieu frappe le front du possédé / Pourpre sanie, faim brisant des yeux verts / O rire effroyable de l'Or / Mais au fond d'une sombre caverne saigne sans bruit l'humanité muette / Et forge en métaux durs le crâne libérateur.

Élis, le Héros quitte la Ville ainsi comprise en son essence pour traverser les campagnes dévastées jusqu'à un lieu hors du temps et de l'espace commun. Il s'est progressivement démis de ses vêtements, de ses masques en quittant l'appartement qu'il laisse à son amant, en quittant ses amis les plus proches, Elysabeth et Maximin, abandonnant Sylvain et Sylvette chez Jacques et Jacqueline décidés, jusqu'à l'absurde, à incarner le christianisme obsolète.

Dans une scène suivante alors qu'Élis est "en chemin" et qu'un spectacle est organisé en son honneur le groupe chrétien assoupli ses vues intégristes et renoue amitiés avec Elysabeth et Maximin.

Sur la route Elis rencontre les décombres du progrès ; les usines, les centrales nucléaires, les forêts acides, des vieillards dans des mouroirs, des asiles, des malades. Mais n'étant pas Gautama il n'y affermit pas son nihilisme. La compassion ne peut plus être programmatique, plus de solutions institutionnelles. Pas de nirvana. Plus aucun espoir d'un changement collectif par la seule volonté humaine. Mais un autre E-prouvement est possible : L' "Etre" en chacun de nous ?. "Trop tard pour Dieu, trop tôt pour l' Etre "
Alors il sait qu'il peut se dégager de tout, sans être ni "détaché", ni un simple égoïste.

Lorsqu'il parvient au seuil du Lieu, il effectue un acte rituel dont son corps est l'Autel, le Ciel et la Terre en lui les maîtres d’œuvre. Chaque organe disparaît dans une Stimmung (une tonalité affective) fondatrice, chaque Stimmung revient à l'Accord des Directions Cardinales terrestres. Chaque orifice, chaque sens participent à ce véritable Chant de la Terre et même les excrétions reprennent leur place dans la nature, s'échappent de l'arbitraire moral confondu au bon Goût.

Si dans Gay Mystique nous avions l'urine solaire et le sperme lunaire, les fèces de terre participant à la Jouis-Sens nous avons ici les mêmes dans une participation plus vaste s'ouvrant à l'harmonie d'un Corps dans l'univers. Le Héros aime PHYSIQUEMENT l'Univers - tel François Augièras, le narrateur de Domme, un essai d'Occupation.

Élis vit alors véritablement le Mystère du Corps Humain. Il est ainsi prêt à rencontrer ceux pour qui il est disposé (ou élu). Il y a Adamas (Jean) et Zelide (Madeleine) qui "incarnent" le Ciel et la Terre. Un prêtre catholique qui a retrouvé - ou inventé - le sens du corps du christ cosmique (tel que certains scoliastes mystiques croient le voir chez Hildegarde de Bingen, Jacob Boehme etc.) un christ identique au monde et qui sert ainsi de médiateur à une communauté, un village qui ne pourrait comprendre directement l'Avènement concret d'un "autre" monde sur cette terre ou plutôt le "retournement natal" vers cette Terre.

Le village est protégé sans être isolé du monde ordinaire qui maintient son inconscience quotidienne et accélère une chute possible.

De l'autre il y a Christian et Julien, des habitants du village, qui peuvent expliquer à Élis comment leur couple est dans ce village-même une possibilité de vie de couple parmi d'autres. Le Village est une forme plus profonde de la "ville", communauté invisible de Gay Mystique, un rapprochement plus certain de Phusis. Le Village entier initie Élis à une forme de vie nouvelle. Mais cette initiation elle-même, reconnue comme stricte formalité, s'avère être un retour à la Liberté constituante de l'être humain :

Chaque être humain est le lieu d'une Révélation. Il n'y a pas d’Ecriture universelle et pourtant aucune relativité dans la référence singulière de chaque Révélation. Le plan de l'opinion est dépassé. Élis retrouve Albrecht non plus simplement comme amant mais encore comme Compagnon sur le chemin pour pouvoir accéder - mais alors devra-t-il être seul ? - aux Enseignements de la Dame de la Montagne et de son Epoux.

Doit-on dater ma véritable entrée en théâtre par cette pièce ? Je ne crois pas.
Pas plus qu'un peuple sans écriture, devrait être nécessairement considéré comme une absence de civilisation, d'ailleurs, il n'y a que nous, les monoathéistes d'état pour en avoir eu une civilisation. Elle ne laissera sans doute qu'une ordure ménagère, le plutonium, pour des siècles. Mais qui pensera alors y voir un reste de civilisation ?!

En 1994 serait composé un Oratorio (sans musique) en 3 Tableaux, le Requiem Intempestif, à la mémoire d'Alberto Finizio dont la représentation demeure indispensable (et surtout hors de toute filouteries de sponsors et autres humanitaires), la représentation d'une mort brute. De cette mort moderne, film en Noir et Blanc ou le blanc du l'Un-seul gagne hélas sur le Noir tellurique. Une ode à un amour perdu et blessé.

Près de 3 années s'écoulèrent en sacrifices dont (tout naturellement) les personnes concernées ne s'aperçurent pas, mais pour moi pleins d'enseignements et celui-ci d'abord : que tout sacrifice est un suicide déguisé, produit de cet horrible besoin religieux, mystique de se renier, ne pas vouloir être soi-même - cabotinage et hypocrisie, bêtise extrême de la volonté !

Alors, nostalgique je revins vers les dieux pour lesquels nous sommes venus trop tard. Ces dieux-souvenirs qui n'exigeaient en fait que le sacrifice le plus juste, le plus Beau, celui d'accéder à son propre Destin : être soi, pure singularité - d'une singularité déchirante et finalement et essentiellement Tragique car gratuite.

Aucune récompense n'en pouvait être attendu. L'au-delà, fut-il même proposé, n'était que le domaine des Ayant-été. Rien ne pouvait plus s'y passer.
De ce "lieu" où rien ne se passe (et d'où rien ne revient sinon en Poèmes) proviendraient mes 9 Noh, écrit en quelques semaines, en 1995 et que je vous présentais en lecture en Janvier 96 pour mes 48 ans ! 48 ans déjà ! Déjà plus ! Même si je ne les faisais pas, dit-on, je frémis qu'en j'y pense et mon corps y prends les rides de la sagesse, cette farce, cette litote mise pour "vieillesse". Y-aura-t-il finalement rien d'autre qu'une écriture, le tracé d'une comète ?

Mes 9 Noh occidentaux 

1. Le Piano Moire.: Dédié à la mémoire de François Moreux, pianiste, germaniste que je n'ai pas connu. Les protagonistes : un piano noire, une Voix (off), le violoncelliste nu et une cantatrice "classiquement" folle. Puis deux exécuteurs testamentaires anonymes représentants d'une association humanitaire cossue.

2. L'Empire des sens ("He" matsuri) : une hiérogamie, une histoire d'hommes.

3. Hogoromo Hollywood : Inspiré librement d'un noh très connu. Une légende que nous retrouvons en Allemagne avec Wieland le Forgeron et la Femme-cygne. Les protagonistes : deux frères l'un rentable, l'autre pas dans un Los Angeles pollué, dégradant. Une starlette (La Marilyne) et un "cop". Autant dire une poupée Barbie, deux "Ken" et un Homme - ce dernier n'est pas rentabilisable.

4. Un soir d'automne, le métro : Dédié à Agnès P (morte ? ou internée, certains par précaution diraient "perdue de vue") et à moi-même. Les protagonistes. A la terrasse d'un café parisien près d'une bouche de métro, André (moi ?), Bernard (plusieurs amis qui ne m'ont pas sauvé de mon premier amour désincarné, Agnès (telle que je l'aimais ? Telle qu'elle m'aima), un garçon de café, une cliente muette. Un orchestre de rue et des danseurs de tango.

5. L'Acier au Clair de Lune : Dédié à Alberto, une fois de plus. Répond à l'essai de Mishima "Le Soleil et l'Acier". Protagonistes : dans une salle de gymnastique, le soir, ce fantôme - toi - un gardien qui ne voit, ni ne ressent cette présence mémorielle et une femme de ménage médium ...

6. Hyperion ou le Soleil Attendu. A Hölderlin : Protagonistes : Friedrich, Suzette (unique amour du poète), Hyperion et Diotima (le Héros et l'Héroïne du poème en prose) et le chœur dans un décor de ruines "grecques" vues par Francesco Colonna ...

7. Le Portrait Ovale. A Georg Trakl : Une forêt qui s'achève sur ce cimetière dévasté par des tranchées, un bombardement et, encore un piano noir entre les cyprès parmi les feuilles mortes. Protagonistes : Georg et sa sœur Gretl, les sœurs Papin (Christine et Lea, les divines bonnes meurtrières de ce qu'il y a de plus laid au monde les instituteurs du travail et de la consommation, des patrons), une femme de "mauvaise vie" et son fils, un Tadzio ...

8. Oedipe et la Sphinge ou l'illusion de la génération : Où l'histoire revisitée montre un Freud interdit, enfin débauché de ses fonctions. Protagonistes : le chœur, Oedipe totalement joué dans l'amour des deux Destinants, la Sphinge et Tirésias : "croissez et multipliez, si cela vous plaît. Mais ne mettez plus votre masque grimaçant devant le Soleil"

9. Le Disciple à Saïs. A Novalis : Le décor suggère le Tableau de C.D Friedrich appelé à tort "Morgenlicht", car il s'agit comme ici d'un crépuscule, d'un achèvement. Protagonistes : Novalis, deux petites filles-poupées (Sophie et Julie ?), une Femme, Clara (revenant de la Clara du Dialogue philosophique "sur les morts" de Schelling ?) et l'Ombre (de Novalis ?), un Savant qui par son calcul compose la fin d'un monde (ou du monde ?) celui de l'Homme.

Désormais, avec ces Noh occidentaux, j'étais donc très loin de la convergence harmonique de mes Dioscures et en écrivant récemment, Et si un jour nous retournions à Sumer, j'affirmais en effet qu'aucune quête humaine ne pouvait être réussie. Ne serait-elle justement que Quête, quête d'un objet qui nécessairement se dérobe, puisqu'il n'y a d'objet et d'objectivité que suspendus, arrêtés donc (la) Mort, qu'il n'y a de sujet que par défaut d'existence ...?

Et si un jours nous retournions à Sumer, nomme Sumer pour que surtout n'y commence pas encore la Bible comme le voulait l'historien S. N. Kramer, que n'y commence que le désespoir brut. Sumer dans la pièce n'est qu'un arbre écrasé par d'immenses cubes de béton armé qui sont des scènes, des habitations pour un monde plus ruiné encore que celui de Blade Runner.
Un arbre vers lequel le regard d'un spot se tournera constamment, un arbre d'un vert impossible qui laisse suspecté qu'il peut être de plastique comme sa taille suggère la difformité obscène du Bonsaï (fait pour un monde où il n'y a à peine de place pour l'humain soudain fourmillant ?).

Les 4 actes de la pièce sont construits sur la trame lâche et croisée de l'Heinrich de Novalis et l'Amour les yeux fermés de Michel Henry et inclut ma pièce inachevée commencée 7 ans plutôt intitulée Antigone Bacchante (rencontre dangereuse entre l'Antigone de Sophocle et les Bacchantes d'Euripide / En plus de ce jeu apparent de citations, un intertexte demi-chanté, demi-parlé donne au Chœur la possibilité d'improvisations contrôlées et ce tout au long de la pièce). Inachevée elle le demeure car jouée, aux deuxième et troisième actes de ce Sumer, par la Troupe de rebelles "Mnémosyne" dans la banlieue de la ville dévastée, le public par ses croassements et sa multiplication l'interrompt en faisant en plus appel aux forces du désordre (on ne peut plus parler de Police aujourd'hui !).

Alors qu'Heinrich, tombé amoureux de Déborah tenant le rôle d'Antigone, quittera, son amant et initiateur, Maximin (en fait l'Elis de mes Dioscures) le nouveau couple à la fin du quatrième et dernier acte n'aura plus comme alternative que la Mort ou l'Exil vers une terre improbable. Car la "Police" a découvert même l'espace privé où encore les poètes imaginaient un Monde.

Alors le rideau ne tombera pas puisque la distance entre le théâtre et le "réel" est annulé par les faits. L'utopie des Dioscures était donc irréalisable (même pour quelques individus ?). Ce XX° siècle (de l'Ere Commune) était bien le siècle des utopies sanglantes dont parlait René Char et l'Homme de Lascaux demeurerait plus accueillant que l'homme (de la conquête) de l'espace ...

Alors la quête de Gilgamesh est exemplaire, comme cette Dream-Quest of the Unknown Kadath de HP Lovecraft (sur laquelle je n'ai cessé de revenir depuis ma thèse) qui en est une version moderne, plus terrible encore car les dieux n'ont laissé que les Autres Dieux - le Mal a triomphé du Bien puisque le Bien ne fut jamais aussi qu'une fantaisie sénile !

Alors nul homme ne peut plus dire, "là aussi sont les dieux", comme Héraclite le put dire à des visiteurs étonnés de le voir se chauffer près d'un four à pain, étonnés qu'il fut aussi un mortel. On peut simplement constater que tout le monde se fait son "cinéma", qu'il est impossible de prendre distance par rapport à la vulgarité qui ne se contente plus d'être l'excitante vulgarité sauvage, celle des vrais Bas-fonds, mais un modèle médiatique ! 

Ce constat culmine dans French Cinéma (écrit en janvier 97) qui est en apparence une ordinaire explication avec de faux amis. En parlant une langue étrangère dont celle du cinéma est la patence, le constat est rendu encore plus simple : la violence est là lorsque les mots finissent par manquer par volonté de formatage - une volonté d'imaginaction.

Et c'est ici que s'accomplit le pari fait à Stéphane M. de rendre dérisoire les scénarios d'aujourd'hui qui sont les existences d'aujourd'hui ! Il semblera en faire les frais car des fragments de son existence dans le monde de la mode et du cinéma se retrouvent intégralement cités, mais d'un autre côté ils sont déplacés. Le sujet de cette pièce est tout autre qu'un pari et ses frais.

Dans French Cinéma (en I Acte et 4 Tableaux) comme dans Sumer un intertexte demi-chanté, demi-parlé intervient et avec d'autant plus de force qu'il se joue complètement de la banalité des mots échangés entre les protagonistes réduit à des numéros, matricules de fonctions tant modernes que dérisoires par rapport à ceux qui les marionnettisent (Producteurs, Financiers), des "cinéastes", "vidéastes", "photographes de mode" ou "à la mode" et autres bartenders. Tous se jouent leur "cinéma". La cinéaste jalouse de sa sœur mannequin belle et sotte mais néanmoins étudiante en Maîtrise d'Anglais a pour amant un scénariste extrêmement connu. Ce dernier, à partir de ce que le jeune photographe - ex-amant de la Mannequine - lui a raconté de fragments de discours amoureux d'un conseiller du Président (Mitterrand) et d'une amie de celui que l'on croit professeur de sémiologie (du cinéma bien sûr !), met en scène ces amours très "gauche caviar" dans un appartement de la Rive Gauche - ça fera encore un film acclamé par les Cahiers du Cinéma.! (et la FNAC fera des bulles avec Télérama en mettant un switch ou du sparadrap pour que jeunesse se passe une fois de plus découverte. Suivez votre guide publicitaire). Dans un café en bas de l'appartement interdit au simple professeur ce dernier essayera vainement de parler de l'art (cinématographique) au jeune photographe accroché à son téléphone portable. Le photographe partira à un rendez-vous sonnant et trébuchant tandis que le "sémiologue" écoutera des consommateurs se venter de faire les "dictées de Pivot" et d'autres parler avec suffisance du triomphe économique de Hongkong - honky-tonk ... Finalement dans une galerie huppée du Marais la photographe à la mode jouira des cadavres qu'elle a saisis sur de grand Cibachrome et surtout de l'argent que cela lui rapporte etc. etc. Un monde passionnant que ne pourra sauver, en fait en en accusant les traits, que l'intertexte en contrepoint.

Cet intertexte se construit à partir des rares films d'auteur que j'aime encore, généralement Fellini, Pasolini, Werner (ne confondez pas avec le Barbet !) Schroeter, Kenneth Anger, des textes gouailleurs qui pourraient être des chansons populaire à la Kurt Weil, des Tangos etc. Intertexte, Fou, Mat qui espère vous tenir en échec, soit dans les affres de votre volonté de représentation.

Fou = Espoir. Car si ce beau monde à la fin du dernier tableau après avoir "oublié" le narrateur fêtent de futurs contrats, trinque à la rentabilité de "leur art", il y a ce grand rire qui tout au long des 4 tableaux apporte de l'air frais. Le narrateur n'est-il pas Monsieur Loyal qui présente dans son cirque des numéros ... Et le Narrateur ce jour là n'est-il pas en train de refondre ses Dioscures pour retrouver son Avenir ... de rêver de hiérogamie ?

Y a-t-il un futur ? NON ! Un Avenir sans doute. Mais hors des sentiers battus et rabattus, hors les lits bordés et débordés du virtuel, quelque part, recours dernier aux Maquis, aux forêts - s'il en reste encore. Du moins restera-t-il une Grotte pour y peindre d'ocre des signes vers le Ciel. Vers le Ciel ? Oui ! Mais uniquement pour la Terre, son Chant sera nécessairement un Abschied au monde.
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Alain R. GIRY, 
17.04.1997.
© A. R. G