EXISTENCE & SIDAEffondrement de la barrière immunitaire & brisure du capital symbolique - Un lien rigoureux.
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"Je vous dis qu'on a
réinventé les microbes afin d'imposer une nouvelle idée de dieu"
Antonin
Artaud
« C’est sur le terrain praticien, par un travail patient et méthodique, que les idéaux scientistes peuvent être mis en échec, c'est-à-dire par la mise en évidence sociale des ravages qu'ils induisent. Soulignons ceci : l’effondrement du capital symbolique équivaut dans la vie et la reproduction du vivant parlant, à l’effondrement de la barrière immunitaire. ». P. Legendre., "Leçons III".
Dissimulée sous les prestiges de la rigueur, la mise hors jeu de la subjectivité aboutit au ravage de la Terre par la nature a-subjective de la technique et, quand elle est appliquée à la connaissance de l'homme lui-même, comme dans les nouvelles "sciences humaines", à la destruction pure et simple de son humanité. M. Henry, "La Barbarie".
PREFACE
"He ! Ho ! Waldhüter ihr,
Schlafhüter
mitsammen
So wacht doch mindest am Morgen ..."
R. Wagner, Parsifal.
Je mettrais ici en avant, comme Descartes et Husserl la nécessité du doute méthodique avec d'autant plus de détermination que nous ne sommes pas encore capables d'une connaissance scientifique fondée sur l'être- même de l'homme, que nous y résistons. Mais je préciserai aussitôt qu'une telle résolution, à savoir, mettre entre parenthèses TOUTES OPINIONS - sachant qu'aujourd'hui de telles opinions se présentent souvent comme "vérifiées expérimentalement" - ne peut être une résolution à la portée de tous. Elle est pleine de dangers. Le moindre étant sans doute de paraître aux yeux des savants, prêtres des démocraties modernes, d'un cynisme irréductible, comme un ennemi du progrès divin.
Cette Décision appartient du moins à ceux qu'appellent en eux-mêmes une plus haute définition de l'être de l'homme que celle acceptée jusqu'ici en Occident et reprise avec ferveur par un Orient désorienté : l'homme comme "animale rationale".Cette définition qui ne répond d'ailleurs nullement à la question "qu'est l'homme en tant que tel ?" (et qui du coup ne peut être considérée comme une véritable définition) décide néanmoins aujourd'hui contre l'homme et achève de le traiter comme simple Unité Biologique de Production ...
L'apparition du SIDA et de tant d'autres "nouvelles" maladies de type dégénératif, consomptives, qui ne répondent plus à la définition des grandes épidémies, des maladies d'Époque (comme la peste, le choléra, la lèpre et déjà avec une autre connotation la syphilis et la tuberculose du 19ième siècle) donnent à penser d'une manière critique cette approche de l'homme exigeant, après une Critique de la Raison Pure - pas encore assimilée - un pas vers une Critique de la Faculté de Guérir. C'est vers elle que nous nous acheminerons ici, quitte à sembler présomptueux aux spécialistes qui ne nous reconnaîtront en effet aucun droit, ni aucun titre. Mais qu'importe puisque nous commençons par douter de la spécialisation dès l'instant où nous ne sommes concernés ici que par la plus oubliée de tous, la plus inutile des activités, penser l'homme comme tel, à partir de lui-même, en lui-même prêts à considérer le SIDA (avec les autres maladies modernes) comme l' incarnation radicale d'un oubli fondamental de l'être de l'homme.
Aussi essayerons nous d'orienter autrement notre réflexion, partant de l'homme pour juger la science et non l'inverse comme cela se pratique désormais par habitude, par expérience, par oubliance.
Introduction.
"Die Wunde ist's, die nie sich Schließen will"
Wagner, Parsifal.
Avec le SIDA contrairement aux autres "nouvelles" maladies nous n'avons pas à faire face en première instance à une entité nosographique mais toujours à un combat idéologique, un combat de représentations. Combat d'autant plus violent et sournois qu'une incapacité est reconnue et aussitôt déniée au sein même du seul discours autorisé, le Discours (de la méthode) scientifique!
Ainsi ce qui pouvait encore le réveiller d'un long et pesant sommeil dogmatique sert une fois de plus à le renforcer. On refusera toujours de se mettre face à cette l'évidence :
LE DISCOURS
SCIENTIFIQUE N'EST EFFICACE QUE PARCE QU'IL EST PARFAITEMENT Inapproprié A L'APPROCHE DE L'HOMME EN TANT QU' HOMME.
Or cet "en tant que" est ce que la maladie - ou plus spécifiquement la Souffrance - rappellera, voire comme un contenu "refoulé". Alors on insistera, ne voulant pas entendre cette souffrance; si l'erreur est humaine, elle ne saurait- être scientifique... Et pour ce SIDA comme pour le reste on ne veut pas être de reste. On continuera à se persuader qu'il y aura d'autant moins d'erreurs possibles dans les traitements de la maladie qu'on maintiendra ses distances avec les facteurs humains, qu'on les mettra entre parenthèses, que l'humain sera réduit au strict biologique. On continuera donc à s'endormir sur les lauriers de la seule méthode expérimentale au détriment de la Science- même. Certes, un sentiment d'impuissance transpire malgré le sentiment de toute puissance entretenue par le scientisme ambiant. Mais ce dernier insiste et réduit tout engagement personnel à un combat de simples représentations qui nommera finalement l'Invisible comme seul et unique responsable. Comment alors la personne atteinte peut-elle trouver des repères à son attente pure, face à ce SIDA, sans perdre la dimension propre de l'Existant ? N'est-elle alors qu' en souffrance ou agonie programmée ?
I.1. Un combat de représentations.
"Das weißt ihr, wie es da sich fand;
Der Speer ist nun
in Klingsors Hand;
kann er selbst Heilige mit dem verwunden,
den Gral
auch wähnt' er fest schon uns entwunden."
Wagner, Parsifal.
Ce combat a lieu sur la scène scientifique et sur la scène humanitaire, la seconde servant avant même toute idée d'urgence de "Fund Raiser" pour la première qui bénéficie pourtant d'investissements tant publics que privés déjà considérables. Comme simple recherche financière elle se sent naturellement obligée d'utiliser tous les moyens propres aux techniciens du spectacle et de la communication. Satisfaisant facilement les "bonnes consciences", utilisant les "bonnes volontés", manipulant les culpabilités citoyennes, l'humanitaire parvient à réduire l'action à la seule et stricte économie. Et dans l'indifférence générale programmée on peut placarder, afficher sans risque de critique ce slogan pourtant ignoble :
AUJOURD'HUI LE SEUL CHIFFRE RASSURANT
CONCERNANT LE SIDA
EST CELUI QUE VOUS INSCRIVEZ EN HAUT D'UN CHEQUE.
Ainsi la scène associative, scène de concurrence fonctionnera sur l'économie en jouant astucieusement avec un bénévolat de base et un encadrement salarié inventeur de "formations" et organisateur de conférences internationales. Cette scène comprendra une palette apparemment variée d'associations éventaire de produits de consommations, de services identifiés par toute une panoplie d'insignes, T-shirts etc. chacun tenant d'abord à s'assurer un rôle sur la scène "politique" (1). Par rapport à la cause en tant que cause humaine, ces associations, fondations, ces entreprises, sont d'abord critiquables puis ensuite presque accessoirement, louables. Humanitaires elles sont la manifestation dernière d'un humanisme qui, déjà bien loin de l'humanisme renaissant, n'a jamais traité que de l'Animale rationale et donc déjà oublié l'Homme c'est-à-dire l'Individu qui est à la fois lui-même et le genre humain auquel nous rappela Kierkegaard (le Personnalisme chrétien et la philosophie existentielle). L'humanitaire, lui ignore proprement la Personne. Publicitaire avant tout, il s'alliera d'abord à des célébrités pour s'en tenir à l'individualisme des Types entretenu par les Behavioral Sciences (nos sciences dites humaines) qui posent l'homme comme une simple unité psycho-socio-biologique. On y traite (et retraite) donc d'abord avec des "ressources" naturelles - humaines - des classes, des catégories, bref avec des chiffres. On arraisonne. On dénombre. On compte. Alors le SIDA ne touche plus un homme, il atteint seulement des groupes à risques, des anonymes, non point des élus, bien qu'on s'efforce, par une axiologie tant rigoureuse que confondante de donner l'image d'un virus sélectif "intelligent" …
COUPABLES |
VICTIMES |
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Homosexuels | Hémophiles | Inné Génétique |
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Toxicomanes | Haïtiens / Africains | Transfusés | Acquis (Accidentel) |
anti-sociaux (culture) | non encore "civilisés" ("nature") | nature / culture |
En fait si l'homosexuel et le toxicomane représentent l'irruption de l'autre anti-social, l'Africain rappelle à l'homme de la technique (avant un "racisme" construit et exploité de tout côté) la Nature. L'africain est presque comme le virus, l'élément naturel qui résiste mais qui succombe tout de même à la "nature". Sans doute parce qu'il n'est pas assez civilisé ? Parlera-t-on de carence alimentaire des africains", de la désertification on oubliera de mentionner notre part de responsabilité ...
Mais un 'virus", qui plus est "rétro", n'est-il pas avant d'être "de la nature" une construction théorique, ce que ne peut être l'Africain ? ...L'opposition entre l'Antisocial et le Naturel, qui opposerait donc Homosexuel + Toxicomane vs Africain est une fausse opposition, une opposition servant d'écran à une opposition plus dramatique, plus réelle, aux constructions (ir)rationnelles. En tous les cas aucun de ces dits groupes à risque ne sera la cause du SIDA. Ils ne sauraient donc l'expliquer et certainement pas être tenu pour responsables.
Mais c'est justement parce que "ça" résiste au sentiment de toute puissance de cette rationalité qu'on préfère toujours désigner ces groupes à risque - ou plutôt les indexer - en mettant en scène des "stratégies" de lutte - une mascarade ! (2). Elles ne permettent d'ailleurs pour symbolisation que le regroupement "affinitaire", le rattachement à l'un ou l'autre "groupes". Ce qui favorise du même coup l'appauvrissement des rapports sociaux.
Il est vrai que pour certains une telle homogénéisation est peut-être apparue comme une dernière chance de "communauté" et de ce fait ils ont pu s'offrir en "otages" à ces stratégies ?
Prenons la dite "communauté Gay" qui par son histoire- même vient au devant de ce qu'elle désigne après coup, mais nécessairement comme homophobie, s'offrant en bouc émissaire, en sacrifice. Pas une seconde n'y sera mise en doute l'équation : HOMO = SIDA.
Dans ses rangs, comme hors d'eux, une expression comme "il est HOMO DONC il A le SIDA" passe parfaitement inaperçue. Ayant reconnu l'homosexualité comme "identité", l'homosexuel choisit en même temps SA séropositivité. Personne n'ira contester. On entérine. Ça arrange tout le monde. Et la "communauté" renchérit en donnant à voir, à vendre une fantasmatique objectivante qui ne laisse plus de doute sur la composante mortifère, le territoire étant désormais délimité comme un "ghetto". Sans autre, par la seule homogénéité, aucune vie n'est vraiment possible et lorsqu'un mode possible du désirer humain veut se poser comme une "ethnie" il ne peut plus y avoir de désir libre mais seulement une circulation d'images spéculaires. Non point un cercle vicieux mais un noeud coulant … Il est donc naturel que cette "communauté" trouve sa fin(alité) dans ces (ses) morts qu'on lui rejette et qu'ainsi elle ne puisse affirmer ce que, seule elle peut être, une communauté des esprits !
Si l'on veut à tout prix maintenir une
"homosexualité" elle ne pourra
exister cependant
a) que comme ciment social : ce qu'a entrevu un Freud avant de remettre son explication "psycho-génétique"
à la seule biologie mais ce que comprenait mieux encore la société
traditionnelle indo-européenne qui faisait des "na punsaka",
non-mâles / non -reproducteurs la seule caste capable de circuler à
l'intérieur de tout le système des castes (Cf. Daniélou, "Les
quatre sens de la vie", "La fantaisie des dieux" etc.)
b) ou comme transgression
territoriale
c) ou mieux encore comme différence individuellement
Résolue.
Il sera donc nécessaire de distinguer au moins les homosexualités de la dite "communauté Gay" cette dernière faisant d'une "sexualité" un but en soi, une "culture". C'est en fait toute la question du "rapport sexuel" et de son "inexistence" qui s'imposerait ici pour rappeler à l'homme qu'il n'a pas d'instincts mais une "organisation pulsionnelle" qui elle-même n'est possible que par l'accès constituant au Langage.
En effet s'il y a comme on dit des "bons coups" cela ne prouve en rien qu'il y ait Rapport. Ce que ça éprouve c'est que c'est toujours à refaire. S'il y a du Rapport ce n'est pas là mais ailleurs, par cette Liberté à laquelle nous sommes comme "condamnés". Un couple, une relation authentique ne peut se construire sur quelque chose d'aussi abstrait et indéfini qu'une sexualité qui se prenant pour but en soi n'est rien d'autre qu'un attelage.
Rien ne se passe que la confusion du "manque de..."
avec un "manque à..." du Vide constituant. Cet "à refaire
in-défini" est le seul lien comparatif entre le "gay" et
le "toxico" avec un "déplacement" symbolique
possible du "pénis" (3) à la seringue qui elle ne peut
renvoyer qu'au domaine médical et marque un appauvrissement radical de
la symbolisation. Dans le cas du toxicomane il est à noter qu'on oublie
de plus en plus dans la théorisation (et du même coup dans la pratique
thérapeutique) de remarquer
a) la parenté du toxicomane avec une
économie marchande conçue entièrement sur le manque
b) de nous
rappeler comment, à la demande affective de l'enfant (voire au moment du
positionnement par l'adolescent de son être- désirant) il ne fut jamais
répondu par les parents ou substituts autrement que par une prescription
(fut-ce un "conseil" de psy), une ordonnance (et alors la
médico-dépendance n'est donc déjà plus très loin) en fait par un mot
d'ordre émis en place d'un Mot, d'un Signe ...
Maintenant si on s'étonne que le mot "Gay" ne s'applique pas à la femme, que les "lesbiennes" ne sont pas "gays" (et de ce fait n'entrent pas dans la catégorie " à risque") c'est qu'en fait et très rigoureusement elles n'ont pas, du moins jusqu'ici, misé sur la seule sexualité mais sur un discours plus modulé, pluriel, le féminisme qui les portait sur un autre plan, celui d'une abstraction: La femme. Les femmes ne voulaient pas en effet être une fois de plus l'OBJET qu'on en faisait de prime abord publicitairement. Elles ont du d'abord revendiquer la subjectivité. Mais qu'entendaient-elles par là ? La subjectivité pouvait-elle s'entendre sans un reflux objectivant ?
Il n'était que trop facile de confondre la subjectivité avec les revendications les plus nocives visant à l'institution d'une société androgyne "sans père" (4) prêtes à introduire aux illusions mortifères d'une société sans tabou, cette société qui encourage le Droit (dernier rempart d'humanité dans nos sociétés dites modernes) à pactiser avec la biologie (5) et rend ainsi de plus en plus caduque la Différentiation, et donc le démarquage vital entre l'Imaginaire et le Symbolique. Ainsi préférera-t-on entériner les délires chirurgicaux et fabriquer de la trans-sexualité plutôt que d'en rester à l'ordre juridique spécifiquement humain. On préfère aussi plutôt que d'accepter la régulation naturelle des naissances louer son utérus, vendre son sperme épuré et favoriser pour des raisons obscurément objectives toutes sortes de manipulations géniques ...En fait pour bien comprendre le SIDA posé en Maladie Sexuellement Transmissible il faudra revoir toute la CONSTRUCTION de la SEXUALITÉ avec ses dites "libérations" dans nos sociétés industrielles de rendement sans pour autant inventer comme Michel Foucault une histoire de la sexualité.
LA SEXUALITÉ NE CONCERNE EN FAIT QUE L'ANIMAL TEL QUE NOUS AVONS APPRIS A LE CONCEVOIR c'est-à-dire EN OBSERVATION LABORANTINE ET/OU DANS LES RÉSERVES. La confusion dans les mouvements de libération entre cette sexualité expérimentale et ce que serait le Corps Humain en tant que tel n'a jamais fait que servir le processus réducteur de l'humain au strict plan biologique. Ils ont permis en s'appuyant sur une mesinterprétation de Freud que certes le texte freudien autorisait par son naturalisme forcené de franchir le dernier pas vers cette aberration dont nous préservait encore un psychosomatisme fondé en Droit. C'est le psycho-sexuel qui a permis le glissement le plus spectaculaire vers cette psyché qui n'est plus rien d'autre que l'encéphale c'est-à-dire du somatique brut. On pressent la conséquence, là aussi il n'y a plus d'autre. Psychosomatique signifierait-il désormais somato-somatique ?
Le seul devenir que la science prescrive à l'homme sera d'être un "bon" mammifère supérieur. Ce qui pour l'homme ne peut avoir lieu qu'au prix impayable de se faire pauvre en Monde. Impayable sinon au prix actuel d'un ennui (6) de plus en plus profond, qui s'ignorant lui-même apparaît seulement comme accès de violence dans une résistance ennuyée à la Violence- même (l'humanitaire sera désormais toujours là pour la policer, la rendre polie). Violence, le mot qui revient toujours avec le mot "crise" pour n'être plus qu'un "phénomène de société" alors qu'elle n'est plus rien d'autre que le refus d'une société à être société humaine (mais une termitière ? sans doute ! Une horde de singes évolués ? Qu'à cela ne tienne !) privant l'homme du Langage.
Lorsque l'enfant n'a plus que des images non- référées à une Parole, images à consommer ( et/ou informations sans grille de compréhension), que les mots viennent à manquer pour dire, par exemple, une émotion, un sentiment, autre chose qu'un comportement (régit par des mots d' ordre), il n'y a plus que les poings. Il frappe. Il casse. Car il est humainement cassé, son humanéité lui est presque étrangère. Tout le problème d'une xénophobie croissante est là, comprise par cette aliénation de la Parole, du Langage. Si le "sexe" et la "violence" vont de pair ce n'est que pour rappeler la carence de parole, la pauvreté en monde dans lesquels l'homme moderne s'installe, joué par le seul discours "scientifique", privé de Langage.
Le SIDA peut être la métaphore de cette Situation si au-delà de l'urbanité d'une S. Sontag ayant flirté avec l'idée (sans conséquence) de la maladie comme métaphore puis du SIDA en particulier, nous nous rendons capables de saisir le rapport existant entre l'effondrement de la barrière immunitaire et la brisure du capital symbolique humain.
Ce qui bien plus qu'à déconstruire, la dite "sexualité humaine" exige que nous repensions le Lien entre le Corps et l'âme, que nous pensions en direction du Leib (7) de ce Corps libre du strict Körper biologiquement circonscrit dont justement un dit "corps énergétique" sera encore le revenant.
I.2. Un combat avec l'invisible
"Toren wir, auf Lind'rung da zu hoffen,
wo einzig
Heilung lindert !
Nach allen Kraüter, allen Tränken forscht
und jagt
weit durch die Welt; ihm hilf nur eines -nur der Eine !".
Wagner,
Parsifal.
Identifié d'abord par ses conséquences sous le nom révélateur de Gay Related Immune Deficiency (8) le SIDA devenant le produit d'un rétrovirus désigné comme HIV ne change rien et surtout n'explique rien. En dehors d'une transmission, il provient du "hasard" dont la science par convention fait nécessité. Un virus, comme le monde, est le produit d'un pur hasard de circonstances dont le déploiement devient nécessaire. Il se situe dans l'ambiance nihiliste propre à la science occidentale moderne. De toute manière les tests qui révèlent à la personne qui s'y prête où y est contrainte qu'elle en est atteinte, ne révèlent rien d'autre qu'une évidence devenue objective; que la mort quoique différée est certaine. Rien d'autre ! Ce qui est terrible, sidérant car on n'introduit à peine la possibilité d'un traitement. On propose des expérimentations. On s'en remet au hasard calculé. Quand rien ne va plus, quand la phase dite asymptômatique s'achève et que le patient est importuné par des maladies dites opportunistes, on s'essaye en tâtonnements logiférants. Asymptômatique en dehors d'une numération sérologique qui fluctue et donne ses courbes, ses repères multiples, flous, on est dans l'invisible. Rien ne se voit. Symptomatique ça se voit. On le fait voir, en interprétant l'apparition de certaines maladies comme étant nécessairement liée aux hasards logiques du virus. De l'invisible menaçant qu'objective les tests à la manifestation de cet invisible, sa concrétisation il peut y avoir une attente ou un déni. Il y a d'abord une situation d'incertitude.
Une chose est certaine, l'objectivation de la mort constitue en objet menaçant l'invisible et maintient dans une peur qui ne pourra être transformée en Angoisse - salutaire retour à soi - sans un travail imposé de l'extérieur ou une Résolution intérieure beaucoup plus souhaitable mais dépassant bien sûr toute prévisibilité. Le monde médical se sentant obligé de préserver son objectivité ne peut s'autoriser autre chose qu'être un peu psychologue. Il reconnaîtra objectivement la souffrance de son patient dans la souffrance de tout autre patient. Il se refusera d'entendre la différence de la personne séropotisive / sidéenne : une souffrance. Certes, il ne peut pas dire que cette souffrance est celle du cancéreux en général. Avec le cancer il y a moins d'impalpable en jeux. Il n'y a pas cette attente de la manifestation de quelque chose qui confirme une sentence toujours abstraite et qui sera la manifestation d'une "faute" (sexuelle) ou d'un accident de transfusion du à un donneur "fautif" ... Avec le cancer on reste dans l'amoralité du hasard (on attrape) devenu nécessité (déroulement objectif de la maladie et de ses traitements).
Combien de personnes atteintes par le HIV, et qui sans
cesse s'appuient sur les mesures, marqueurs hématologiques n'en viennent
à souhaiter une "bonne" maladie opportuniste qui faute d'un
avenir authentique les libérerait dans le présent d'une attente (de la
mort) devenue insupportable, presque improbable. En attente, toute
Anticipation, tout Devancement réduit à cette attente
a) le passé est sans reprise possible
b) l'avenir est un futur antériorisé:
"si je (n') avais (pas) ... je pourrai", qui rappelle la plainte
du mélancolique
c) limité au présent de l'Irrésolution, tout Instant est presque interdit.
L'être soucieux devra se composer divers comports
"types". Mettant de côté le plus commun de ces comports qui est fuite dans le Divertissement
(attitude qui rappelle
l'aventure maniaque faites de présents juxtaposés), ne pouvant
confirmer la règle sidéenne en parlant de ces exceptions qui en tant
qu'individualités métaphorisent leur maladie (en la dépassant vers les
possibilités d'une oeuvre), nous ne retiendrons
ici que deux cas de figures
a) des personnes
qui se mettent "sous la garde" de la sentence de mort et sont en
constante (auto)-observation, leur corps n'étant vécu que comme objet
extérieur (Körper) et la parole réduite à des "body talks"
b) des personnes pour qui la sentence de mort semble ouvrir le champ des
possibles et présentent les signes d'une "conversion"
intérieure. Mais rares sont celles pour lesquelles cette conversion n'est pas
autre chose qu'une autre démission confortable qui ne renverra en fait à
aucune Nécessité Intérieure.
Si les premières sont simplement aliénées au discours médical et à son fantasme de toute puissance - discours magique - les secondes sont elles aussi à la merci d'un autre côté de cette toute puissance magique, les "spiritualités" et surtout de dites techniques de développement personnel.
Parmi le premier groupe, les personnes qui trouvent une "identité" en se reconnaissant dans la pseudo-communauté des gays souscriront à une fantasmatique stéréotypées comme à des impératifs catégoriques. Ils se plieront à une visibilité sans intelligibilité qui les contraint à n'avoir sens que par l'apparence non-assumée comme telle. Ils devront sans cesse interroger le miroir et guetter tout signe de non-conformité à l'idéal". Ils ne chercheront pas nécessairement à "profiter" de la maladie pour entrer dans l'intelligibilité seule donatrice de Sens. Ils n'observeront que l'apparence abstraite du Körper dans une esthétique non-accomplie puisque venant de l'extérieur. Il ne s'agira à ce niveau que d'avoir la forme. Dans le travail incessant visant à maintenir la forme ils tendront à perdre l'essentiel et surtout la possibilité de la Rencontre (possible uniquement au plan du Corps de Parole). Ils n'iront qu'à l'encontre d'images - images de soi pour l'autre, images spéculaires. Cette auto-observation "esthétique" ou plutôt cosmétique finira par rejoindre le regard objectivant du discours médical qui ne les observe que comme "événements organiques" hors de tout vécu. Il y aura une perte radicale du contact, de l'éprouvement du corps-propre. Cette perte sera encouragée par le discours officiel, les innombrables brochures de prévention et de gestion (sic) de la maladie qu'ils chercheront à devancer.
Suspectant le moindre bouton ils iront chercher un
kaposi chez le dermatologue. Un borborygme intestinal les conduira chez le
gastro-entérologue. Une toux sèche ou humide sera déjà la pneumocystose attendue par les descriptifs opportunistes
du phtisiologue. Quant au mal de tête il exigera aussitôt un scanner à la
recherche de la toxoplasmose ou d'un mélanome. Ainsi de suite, le corps
se donnant par morceau et chaque morceau revenant à un spécialiste
ignorant l'autre spécialité, ils se défendront bien de concevoir qu'il
puisse y avoir un corps qui soit avant cette fragmentation la
condition des capacités organiques, qui les maintienne ensemble, un
Formant. Si ces personnes n'étaient dépistées séropositives /
sidéennes on les considérerait comme hypocondriaques, et médecin un peu
féru de psychiatrie on serait heureux de pouvoir en attendre un
éclaircissement sur ce "désir" mystérieux qui ne se parlerait
que dans cette relation de supposition de savoir qu'est la relation (im)patient
/ médecin. Mais ils sont séropositifs, sidéens, on ne peut pas
perdre son temps à les écouter. Il faut prévenir l'imprévisible,
traiter l'intraitable et justifier en même temps cette image d'un corps
morcelé en Raison, corps objectif et donc considéré réel. Le
séropositif / sidéen a son corps éparpillé, inscrit sur un parcours
objectif de spécialités sans autre parole qu'un étiquetage botanique,
qu'importe ! Une maladie n'est pas un phénomène de parole et en aucun
cas le SIDA ne peut être parlé, pas même ses symptômes qui demeurent
longtemps indolores et invisibles. Seul le microscope électronique, le
scanner aux données rendues lisibles uniquement par l'ordinateur et
après par le technicien sont capables de designer la maladie au malade
qui ne la peut connaître. Tout se dérobe au patient qui n'a même plus
son mal-à-dire sinon attendre. Attendre jusqu'à souhaiter que quelque
chose se manifeste, car il ne supporte plus d'entendre la machine lui
fixer des échéances alors qu'il ne voit rien, ne sent presque rien. Il
ne supporte plus de ne sentir peser que la sentence de mort qui sans
l'objectivation l'aurait seulement éveillé à sa réalité de Mortel.
Car en effet quoi de plus humain que de s'appréhender d'abord comme un
être contingent, en sursis : existant ! Mais il n'est plus un mortel, il
est condamné à mort scientifiquement !
Il a la certitude d'une mort
différée comme tout Mortel mais cette certitude ne peut être sur le mode de
l'"être-en-question-en-son être". Il a sa mort dans un autre,
invisible, que seul un autre qui en ignore tout gère sans rien
comprendre mais pouvant tout expliquer. C'est là que se greffent, par
le "jeu" d'un corps condamné au miroir du spécialiste,
prisonnier de l'invisible, les plus insidieuses manipulations
psycho-affectives, qu'elles s'imposent elles aussi en techniques
thérapeutiques.
Nous arrivons maintenant au deuxième cas de figure où les liens invisibles se transforment en "appel de l'Invisible". Si la reconnaissance de l'être pour la mort ouvre le Mortel à son être le plus propre, lui découvre le champ des possibles tempérés dans l'ouvert d'un Destin, la sentence de mort prononcée du lieu de la "vérité" - le Discours Scientifique - avec tout l'arrière plan moralisant ne fait que réveiller un sentiment de culpabilité paralysant. C'est ce sentiment de culpabilité que certains transposeront à leur profit en reprenant la mesinterprétation des termes religieux de "repentir", "pardon", en expérience "spirituelle". La mesinterprétation n'est pas tant du à l'incompréhension de la Dogmatique chrétienne qu'un Jean Paul II semble renforcer (selon un principe indispensable de cohérence qu'on a tort d'admirer seulement chez les scientifiques) qu'à sa transcription dans un jargon à la fois technique et anti-dogmaticien (comme le cultivent les psychologues et analystes en général suivant en cela la vogue anti-dogmaticienne des gestionnaires en manque de bétail aphone) qui confondra une expérience éprouvée avec une quelconque immédiateté - des Émotions, des Sentiments avec de la sensation, du non-quantifiable avec des quanta etc. Il est certain que partant de la sentence de mort et de certains a priori sexuels sur le SIDA compris comme conséquence du péché de la chair (voire plus localement réduit à la sodomie) mélangé avec du psychanalytique hasardeux, il sera aisé de jouer sur le clavier émotionnel réveillant craintes, tremblements et larmes salvatrices. Mais en aucun cas nous ne pourrons parler d'expériences spirituelles authentiques. D'ailleurs, sur la question du "spirituel", il est bon de mettre les points sur les i. Il ne faut pas confondre le spirituel avec le psychologique, ni surtout avec des manifestations, des phénomènes spectaculaires dits paranormaux. Les miracles ne sont pas des expériences spirituelles mais, et cela est évident dans les Évangiles, seulement un moyen pédagogique. Ils sont là pour montrer autre chose de plus élevé; l'essence de la manifestation. Se satisfaire du miracle c'est tomber dans la "magie" soit s'installer dans la matière coagulée, arrêtée, objectivée. Magie que condamne avec vigueur tant le Corpus Juris Canonici que le Talmud. La spiritualité authentique ne désigne pas autre chose que l'accès de l'homme à son être le plus propre en tant qu'un tel accès peut témoigner de l'Être. Un tel accès est rendu possible par la Parole. Certes pas celle que définissent de soi-disant "sciences humaines", une linguistique qui prend pour degré zéro les parlures vulgaires et communes, mais le Langage tel que le porte au plus haut la Poétique. Poétique au sens éminemment créateur, qui est le geste du Poète comme du Sculpteur, du Peintre, du Musicien à la fois Acte et Contemplation. Geste qui ne peut être confondu avec les platitudes d'un "langage du coeur" - sentimentalisme débile complément du rationalisme positiviste.
Une chose est certaine le pire demeure (comme le soulignait déjà N. Berdiaev dans le plus vigoureux de ces ouvrages, "Le sens de la Création", accusant la théosophie, cet ancêtre de l'actuel New Age), la spiritualité "moderne" qui, se croyant obligée de prendre des tours scientiformes fait du Divin ou de Dieu un physicien et/ou un chimiste" (9).
Et c'est dans ce domaine du pire que de la maladie on
tombe dans toutes ces conversions d'apparence où des manipulations
psycho-affectives se pressent comme techniques palliatives,
d'accompagnements voire se présentent en panacée. De telles techniques
seront d'autant plus "efficaces" que le "thérapeute"
aura en plus le titre de docteur en médecine. Cas trop fameux d'une E.
Kubbler-Ross qui sans ce titre, aujourd'hui magique, rejoindrait le rang
des illuminés voire des plus vulgaires nécromants ! La confusion
entre le plan scientifique, et donc nécessairement profane, du Pharmakon
et le plan religieux du Sacré (ni opposé, ni pour autant familier du
précédent plan) répond à une confusion actuellement renforcée voire
cultivée entre le Divin et Dieu (10). L'expérience du Divin étant de
l'ordre pathique et l'accès aux écrits des grands mystiques étant
parasité par les étalages des gourous autocrates, le pathos et le
pathologique ne sont jamais très loin.
NOTES 1 à 10 1 - Au sens américain du terme d'une politique mêlant le
"lobbying" à l'activisme" anti-militant de nature puisque
nécessairement correct, geste strictement managerial, sens
consacré depuis aussi en France. 2 - Il est difficile de trouver à la fois plus vain,
obscène et ridicule que les campagnes pour les préservatifs. Comment, à
moins de faire entrer le "morceau de caoutchouc" dans la
"logique du Phantasme", le Corps peut-il accepter le
préservatif - sinon en trichant ... Croire
que de nouveaux plaisirs peuvent être inventés, c'est confondre le
Désir avec les besoins du marché. Si les préservatifs doivent être
utilisés c'est uniquement au plan du Devoir, et donc malgré tout
littéralement contre nature !>Mettre un
préservatif c'est entrer en contact physique avec la société
industrielle, son corps plastique , réaliser ses exigences
anti-corps. 3 - A ne pas confondre avec le Phallus qui lui est un marqueur de
Différence comme l'indique le terme sanscrit de Linga signifiant à la
fois "signe" (langue) et "phallus". 4 - On évitera de confondre comme il est aujourd'hui de
coutume les pères, simples géniteurs et la fonction symbolique du Père
etc. > 5 - En Octobre 67 (C.F. Scilicet I, p. 29,
Propositions du 9. 10. 1967 aux psychanalystes de l'E.F.P) Lacan écrivait : "Les camps de concentration sur lesquels
il nous semble que nos penseurs, à vaquer de l'humaniste à la terreur ne
se sont pas assez concentrés ... puisque ce que nous avons vu émerger,
pour notre horreur, représente la réaction de précurseurs par rapport
à ce qui ira en se développant comme conséquence du remaniement des
groupement sociaux par la science, et nommément de l'universalisation
qu'elle introduit." 6 - Sur l'Ennui et la "pauvreté en monde" caractérisant
l'animal "pour" l'homme C.F. Martin Heidegger G.A 29/30,
traduction: Les concepts fondamentaux de la Métaphysique. 7 - Leib = Corps Humain, corps subjectif (Cf. Michel Henry,
Phénoménologie du corps, P.U.F, collection Epiméthée, 1967). 8 - L'AIDS fut d'abord dénommé G.R.I.D (Gay Related Immune
Deficiency) "grille" proposant une>épuration discrète, là même où
fut inventée la catégorie permissive, à l'emporte pièce, de 'Gay" pour éviter une réalité bien trop
complexe. 9 - Lire sur ce phénomène de société l'excellent numéro de la
revue Christus, Le Nouvel Age, sortir de la confusion, Numéro Hors Série
n° 164, Octobre 1994. 10 - Revue Christus, n° 162,1994 "L'expérience mystique : Dieu
ou le divin. |