Par Alain R. Giry
"Les orgueilleuses promesses de la science à l’aube de l’ère industrielle ont fait long feu. Les récits des anticipateurs du siècles dernier affirmant que la machine à vapeur amènerait le règne de la félicité et la paix universelle nous font sourire, comme nos anticipations, nos rêves de bonheur par l’astronautique et la génétique feront sourire nos descendants s’ils sont encore là pour s’en amuser" Jean Servier, L’Homme et l’Invisible (1964)
« Soit qu’elle exalte (le Vieillard) ou qu’elle le ravale, la
littérature l’enfouit sous des poncifs. Elle le cache au lieu de le
révéler. Il est considéré par rapport à la jeunesse et à la maturité
comme une sorte de repoussoir : il n’est pas l’homme même, mais sa
limite ; il est en marge de la condition humaine ; on le la reconnaît
pas, on ne se reconnaît pas en lui » Simone de Beauvoir, La Vieillesse
(1970)
Première partie : Fondation.
A. La réalité humaine n’est pas gérable !
· S’il est envisageable de gérer des activités sociales & culturelles.
· S’il est envisageable de proposer des services et marchandises pour bien vivre sa retraite.
· Si l’on gère la maladie indépendamment de la personnalité du malade selon la vocation scientifique et les exigences de progrès purement techniques et du même coup la vieillesse comme un « fait » biologique indépendamment de la personne. Il est impossible de « gérer » la « réalité humaine » .
Elle échappe à l’emprise du calcul, raison pour laquelle gestion et productivité la mettent, avec de plus en plus de précision, une précision démente, entre parenthèses, et la considèrent comme un « bruit » etc.
C’est dans la voie d’une gestion systématique et généralisée que s’engage l’ensemble des propositions en direction d’une population statistiquement vouée
1. à un vieillissement croisant,
2. à une « espérance » de « vie » plus grande etc.
Cette population existe-t-elle ?
Elle existe pour les statistiques.
Des statistiques partant de l’idée d’un « progrès linéaire » d’un « toujours plus et mieux » radicalement contesté par les faits ; recrudescence de maladies jugées éradiquées, nouvelles maladies, dont les maladies iatrogènes, environnements détériorés etc.
Elle existe pour les démographes et le méta-marketing aveugles qui ont remplacé définitivement toute « idéologie » et rejeté dans l’indifférence l’Acte de Penser.
Cette population issue du « baby boom » (encore de la statistique) n’existe que dans une « croyance » scientiste qui a posé la « vie » comme « référent absolu » brouillant ainsi la distinction fondamentale entre
· « zoé » = la vie comme vie (facticité) où l’animal avait sa place hors du laboratoire.
· « bios » = existence, une « manière de vivre » propre à une personne ou un groupe. « bios » ainsi distingué s’entendait avec
· « ethos » : le séjour.
Ethos n’est pas plus « éthique » que morale, ni ce que l’éthologie en a fait « là où il pisse, il est chez lui », ni même l’ethnologie qui a pour but de « classer » les populations qui ne se sont pas encore rendues à l’évidence ; qu’il n’y a qu’une science qui est La Science (nouvelle (sainte) inquisition,
fascisme intégral )
B. Question de définition : (sur) vie vs Existence.
La vie ne peut pas être un référent pour la « réalité
humaine » qui, par le Langage, est appelée à s’arracher à l’instinct
en articulant un double plan :
a) Körper, le corps qu’on a
b) le corps de pulsions (Leib), le corps propre, le corps qu’on est.
· s’appuyant du contact (entre dépression et manie, d / m comme Chercher / trouver – s’accrocher) – recherche du Plaisir
· s’individualiser, pulsion Sexuelle (h / s comme Eros / Thanatos) – la Jouissance
· s’affirmer, Pulsion Paroxystique (e / hy comme le « meurtre et l’éthique / l’inceste et la morale ) – la Béatitude
· jusqu’à être Soi au risque de la schizophrénie ou de la paranoïa… Pulsion Sch (du Moi k / p comme Avoir / Etre ) – le Bonheur
De se situer sur un « axe » d’avant / après la « fête »…
· le post festum du mélancolique,
· l’ante festum du schizophrène
· ou l’intra festum de l’obsessionnel ou de l’épileptique…
Le Langage n’est pas une « propriété » de la réalité humaine mais ce qui la constitue et institue :
Le Langage n’est pas un « moyen d’expression » il est identique à la compréhension de l’Etre.
Compris, expliquer comme « moyen », outil d’expression il se perd et tous les essais de « défense » d’une langue deviennent ridicules d’autant qu’on s’enfonce en même temps dans le « slang », les abréviations, le « smiley » et les jargons techniques.
Le Langage (même compris à partir de la double articulation S / s ) n’est
pas une signalétique, bien que cette dernière puisse suffire à la
communication d’informations de type « mot d’ordre » (tache à
effectuer etc. ), l’existant nomme toujours( l’) Autre chose…
C’est le « langage poétique » seul qui peut nous faire comprendre
ce qu’est le Langage comme tel et nous réintroduire à la « réalité
humaine » inaliénable (l’Existant singulier comme être avec autrui
etc.).
La linguistique (à l’exception peut-être de celle de Guillaume ou Benveniste…) nous en éloigne en se rapprochant de la théorie de la communication – c’est-à-dire de la cybernétique.
Langage poétique veut dire cette parole qui se produit originellement pour dire quelque chose qui répond dans la situation à cette situation etc. Originellement c’est le sens du mot Grec « Mythos ».
Là où le Mot se brise,
où il n’y a plus de mots pour (le) dire
la violence éclate.
Il ne faut pas chercher la cause de la violence ailleurs
c’est la défaillance du Langage lorsque la « vie comme vie » devient le référent.
Or, qui définit la « vie comme vie » sinon la médecine, les bio-technologies (la nouvelle dimension de la souveraineté c’est-à-dire du droit de vie et de mort sur les « sujets »)
C’est dans les camps de concentration (comme « Nomos » de notre époque : La vie comme vie n’est que gargouillis cela a été (dé)montré dramatiquement à Auschwitz et ailleurs, à travers toutes les utopies sanglantes des 19ième – 20ième siècles reposant sur le positivisme et le scientisme, sans que pour autant nous en ayons été éclairés puisque nous prenons définitivement la « vie » comme mesure de l’existant.) que s’est instauré ce brigandage aujourd’hui « institué » …le gène comme mesure – nommons cela le Principe Mengele
La vie comme vie – au plan du sujet - n’a qu’un but, la mort.
La proposition ne se retourne que dans l’illusion des cycles (dont les notions de progrès et d’évolution – que fait-on de l’entropie… ? - sont une variante etc. ) dans lequel le « sujet » est exclu. Donner naissance c’est signer sa propre mort. Cette vérité (connu du Droit) n’est choquante que pour qui se place au plan d’une politique nataliste aveugle pour ne pas dies bestiaude !
Exister, ce n’est pas sortir de soi mais au contraire
S’ARRACHER A LA VIE COMME VIE
POUR DEVENIR SOI DANS UNE PERSPECTIVE DESTINALE
La vie est un « néant ». Pour la vie « je » ne compte pas. Dans un cosmos « démythifié », « je » n’ai pas de place. Elle n’a aucune signification, d’autant moins qu’on ne veut pas y être compris mais qu’on veut l’expliquer.
Exister pose la compréhension qui est Parole.
La vie comme vie pose mon être « rien que » et « moins que…ça ».
1. Pour la vie comme vie n’y a pas de perspectives ouvertes pour la vieillesse et les « explications » biologiques le montrent bien qui cherchent à « enrayer le processus irréversible » et fomentent une immortalité sans contenu en se félicitant, en attendant, d’augmenter le nombre des survivants… Là où se réjouissent et déplorent les démographes qui constatent que la mort sociale et la mort biologique ne coïncident plus
2. Les services de soin /maintien à domicile qui se « modèlent » sur les données de la gérontologie / gériatrie et d’une manière générale de la sacro-sainte «objectivité » excluent alors toute émergence de ce « sens » qui n’est possible que pour l’existant. Ils créent ces objets manufacturés, en série, que l’on appelle « seniors » dans le meilleur des cas ou désormais selon la grille des groupes iso-ressources (G.I.R) et autres classifications proposées par l’OMS !
3. C’est ce à quoi nous devons RADICALEMENT nous opposer sans revendiquer des droits ou des devoirs supplémentaires mais en se posant comme responsables à l’Appel de l’( ) à être soi, Entente de Personne à Personne dans une perspective Destinale.
« Ethos anthropo daimon » (A l’homme son daïmon
accorde Séjour)
Héraclite
« Le continuel ouvrage de notre vie, c’est bâtir la
mort ».
Montaigne.
« Oh build your ship of death, oh build it in time
and build it lovingly, and put it between the hands of your
soul"
D.H Lawrence : Ship of Death.
« La mort accomplit un fulgurant montage de notre
vie »
Pasolini
La personne qui (désire) s’occupe (r) de personnes âgées doit être
1. d’abord gérontophile : ce qui suppose un désir de « géronte » (les figures mythologiques sont à expliciter) et une mise en question de tous les clichés « professionnels » sur la vieillesse (On pourra s’aider des travaux de James Hillman)
2. et donc, du même coup être capable (d’accepter) de se saisir dans son devenir propre vers la mort
La Mort comme moment inaliénable (on ne peut pas mourir à la place d’un autre), moment de Solitude où la totalité de l’être se révèle à lui-même etc.3. ce qui présuppose une attention toute particulière à soi : un engagement vers la (re)co-naissance de soi comme réalité humaine (Personne / Dasein : être (le) là de ( ), Présence etc. ). Ce qui doit être distingué de tout travail psychologique (au sens des nouveaux professionnels de la « gestion du stress » etc. )
D’où l’extrême difficulté de cette aide dans un monde
· où une « jeunesse » préfabriquée (médiatiquement), une abstraction, sert de mesure
· où la mort est déniée, aseptisée etc.
· où l’âme est opposé au corps en un jeu psychosomatique dérisoire (psyché = encéphale = biologique / soma = biologique, donc biologique = biologique ! Encore et toujours la « vie comme vie » !)
· ou demeure dans l’ordre des niaiseries pseudo-spirituelles maintenant toujours un refus catégorique face à la possibilité d’une « âme du monde » etc.
Ce refus tient sans doute à la définition canonique, juridique de « Culture » : « Cultura est idolatriae augura servare et stellarum requirere cursus ». (La culture consiste à observer les présages et interroger le cours des étoiles)
Gratien Cause 26, Question 2, Canon 9
Ce qui en dit long aussi sur la « volonté » anti-naturelle d’une religion qui deviendra cette religion planétaire qu’est le matérialisme la plus insensée que nous ayons connue (nécro-capitalisme), qui non content de dompter la « nature » (Le Dragon, le Serpent) préfèrera la tuer (l’ayant d’ailleurs considérée comme morte (depuis Descartes et tout autant avec la physique dite moderne) … etc.
· où la Tradition qui préservait le « sens caché » est elle-même servie en kit… confondue avec les religions hégémoniques (principalement le « romano-christianisme » sous sa forme essentielle, le Droit, sur laquelle repose entièrement la « politique mondialiste » etc. )
· où la Connaissance est remplacée par des savoirs, de l’information (d’où l’incapacité de comprendre la Mémoire à partir de la temporalité de l’être globale etc.)
1 Difficulté de « former » ces personnes confrontées à la Finitude, La Solitude etc.
2 et dés avant même de les former, de pouvoir les reconnaître au delà des motivations « professionnelles » (c’est-à-dire « avoir », un statut social, un salaire etc.) dans leur capacité à effectuer un Métier (toujours plus « valorisant » qu’une profession puisque référent à « la main pensante » de l’Homme etc. ) qui éxige de faire face, humainement, non au « growing up » (without) mais au « growing down » (within) - qui n’est pas un « breaking down » mais un « breaking through » etc.
3 là où l’aspect technique est secondaire par rapport à l’engagement humain de « Personne à Personne » il est nécessaire de comprendre la réalité humaine c’est-à-dire sa constitution ontologique avant les manifestations « ontiques » de la « biographie » et les fallacieuses explications d’une psychanalyse dévoyée qui se font à partir de l’enfance, de la famille construites abstraitement etc.
Cette constitution n'est pas déterminée par des expériences ni sur une analyse historique. Aussi l'homme de Cro-Magnon, l'homme primitif (… des arts premiers - cette innommable hypocrisie !) et notre homme (post) moderne ne sont pas différemment constitués sur le plan ontologique.
Citons encore Jean Servier :
L'homme de tous les pays et de tous les temps a en lui le schéma de toute la
perfection possible de l'humanité (……) Le dépouillement technique est une
ascèse librement consentie, un choix et non une conséquence d'une quelconque
infirmité intellectuelle. Des hommes ont préféré vivre à même l'Invisible
et leur civilisation s'est trouvée modelée par ce désir torride. L'Occident a
choisi le développement illimité des techniques sans prendre le temps de se
demander si, dans ce choix, il n'avait pas risqué et perdu son âme.
C’est uniquement à partir de cette constitution existentiale ontologique (que nos exercices – Cf. document 2 se proposent de retrouver) que la Personne peut
· se comprendre à travers l’autre qui la soutient dans l’Existence
· alors que le vieillissement marque irrévocablement un « retour » sur la facticité biologique
· bien que ce vieillissement puisse (mais pas nécessairement, le principe d’égalité ici n’opère plus, seule la capacité Destinale etc. ) se « révéler » accès à la dimension constituante d’un Destin (le Séjour accordé par…)… à l’Autre Dimension…
· et se rendre à cette Mort Edifiante celle d’une présence singulière que lui refuse la société lorsque celle-ci ouvre le débat sur l’euthanasie au plan bio-technologique (où toute éthique est une sinistre farce) ou propose des programmes d’accompagnement rationalisé aux mourants !
Ce qui suppose des formateurs, d’abord qu’ils ne soient pas seulement des formateurs et lorsqu’ils sont en plus médecins, « pour corriger l’astigmatisme de la médecine orthodoxe qu’ils aient rencontré le défi de l’analyse et laissé pénétrer et fertiliser leur mode de pensée par l’Inconscient au lieu de continuer à marcher, vierges, le long des murs blancs de leurs hôpitaux avec leurs rassurantes notions de souffrance, causalité, maladie et mort »